Tirailleurs du réalisateur Mathieu Vadepied avec Omar Sy est déjà le premier film français au box-office 2023 avec un million d’entrées après trois mois d’exploitation. Il raconte l’histoire d’un père qui s’engage comme tirailleur sénégalais pour retrouver son fils enrôlé de force sur les terribles champs de bataille de la première guerre mondiale. En 2006,
Tirailleurs du réalisateur Mathieu Vadepied avec Omar Sy est déjà le premier film français au box-office 2023 avec un million d’entrées après trois mois d’exploitation. Il raconte l’histoire d’un père qui s’engage comme tirailleur sénégalais pour retrouver son fils enrôlé de force sur les terribles champs de bataille de la première guerre mondiale. En 2006, le film Indigènes de Rachid Bouchareb avec en tête d’affiche Jamel Debouzze et Samir
Naceri, racontait l’amitié de quatre tirailleurs algériens pendant la seconde guerre mondiale. Le film fit trois millions d’entrées. A sa sortie, Jacques Chirac engagea le processus de la fin de la cristallisation des pensions militaires des anciens combattants de l’empire colonial français, bloquées à la date des indépendances. A la sortie du film Tirailleurs Emmanuel Macron a levé la contrainte faite aux pensionnés militaires de résider six mois en France pour percevoir le minimum vieillesse. Des mesures tardives, dérisoires, vu le nombre de militaires concernés et les montants en jeu, dira-ton. Certes, mais la question est de savoir pourquoi des films grand-publics, plutôt convenus, portés par des acteurs connus, plus que par une réalisation originale, ont eu un impact tel qu’un Président de la République se soit senti obligé de poser un acte officiel au moment de leur sortie, comme s’il fallait réparer quelque chose, raccommoder notre mémoire collective, voire rapiécer la mémoire officielle.
L’histoire des tirailleurs sénégalais n’a pourtant pas attendue Omar Sy pour être connue. Comme pour le comportement des Français pendant l’Occupation allemande ou la réalité de la guerre d’Algérie, le travail des historiens a déjà documenté la place de ces militaires issues des colonies dans la conquête coloniale et les deux guerres mondiales. Mais dire la vérité de l’histoire ne veut pas dire la reconnaître officiellement et collectivement. Ce travail de reconnaissance dure une cinquantaine d’années en France. Les lois constitutionnelles de 1875 de la IIIe République et sa construction historique souvent sanglante, ne furent stabilisées qu’à la sortie de la première guerre mondiale et la fraternité des tranchées. Il aura fallu attendre les années 90 avec le grand discours du Vel d’hiv de 1995 pour que l’on assume la réalité de la Collaboration et de la Résistance. Ce n’est qu’en 2017 que les crimes d’Etat en Algérie ont été reconnus. La période qui court entre le travail scientifique des historiens, son appropriation par l’opinion publique et sa reconnaissance officielle, est toujours marquée par des controverses, des polémiques, des débats dans l’espace public. Comme dans un travail d’anamnèse collectif, des films, des essais ou des romans viennent nourrir les mémoires des générations qui ont suivi les contemporains de ces périodes douloureuses que l’on arrive pas à oublier. C’est ce qui se passe en ce moment avec la colonisation et les décolonisations ; les films Tirailleurs ou Indigènes s’inscrivent dans ce processus d’appropriation qui aboutira nécessairement à la reconnaissance de la colonisation comme crime contre l’humanité.
Les histoires des tirailleurs algériens et sénégalais sont des pièces de cet immense puzzle mémoriel qui concerne près de deux cent années de notre histoire nationale. Des romans alimentent aussi l’imaginaire des lecteurs, comme le prix Goncourt des lycéens de 2018 Frère d’âm, qui raconte une terrible histoire d’amitié dans les tranchées et qui ira jusqu’à la folie. Plus récemment Frère de l’ombre de Nadia Hathroubi-Safsaf en 2021 où un fils engagé tirailleur sénégalais en 1943 part à la recherche de l’histoire réelle de son père engagé en 1914. Pour Paul Ricoeur la notion de mémoire collective était un leurre. Selon lui, la mémoire est une capacité individuelle, la porter à un niveau collectif n’avait pas de sens d’un point de vue scientifique, elle était au mieux une métaphore. Il préférait la notion de mémoires partagées où l’historien a un rôle central pour documenter la vérité de l’histoire et sa part d’ombre comme les exactions des tirailleurs de l’armée du général Juin en Italie en 1943 ou le rôle des tirailleurs sénégalais dans les répressions coloniales. Ces mémoires partagées sont comme un plus grand dénominateur commun mémoriel qui structure notre volonté de vivre ensemble dans un espace qui s’appelle la France. Or, il se trouve que plusieurs millions de Françaises et de Français issus de cette histoire coloniale estiment que leurs histoires familiales, leurs mémoires communes et leurs imaginaires ne sont pas suffisamment partagés dans le socle mémoriel qui fonde notre Nation. Les films indigènes et Tirailleurs, les romans sur cette période de notre histoire montrent des personnages à hauteur d’humanité auxquels on peut s’identifier quel que soit le contexte. Ces œuvres ne dénoncent pas, elles alimentent les imaginaires, elles ne sont pas des documentaires mais des fictions basées sur l’histoire. Au-delà des polémiques sur ces films, leurs succès grand public montrent un profond processus d’appropriation des
mémoires coloniales par de plus en plus de Français au-delà de ceux issus de l’immigration. Nos mémoires partagées s’enrichissent, notre travail d’anamnèse sur la colonisation ne fait que commencer, il aboutira à terme à une forme de consensus, à la reconnaissance de la colonisation comme crime contre l’humanité et à l’apaisement.
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