La petite Marianne de Grand Bassam – LFCIN°19 du 3/12/2020

La petite Marianne de Grand Bassam – LFCIN°19 du 3/12/2020

Tous les Français de Côte d’Ivoire connaissent la petite Marianne de Grand-Bassam. Elle n’est pas bien grande, un mètre cinquante, maximum, juchée sur son rocher peint en blanc avec à ses pieds un mort dans son linceul blanc, chaussé de gros brodequins noirs vernis. Une Marianne Cérès semeuse, vintage IIe et IIIe République, féminine, douce,

Tous les Français de Côte d’Ivoire connaissent la petite Marianne de Grand-Bassam. Elle n’est pas bien grande, un mètre cinquante, maximum, juchée sur son rocher peint en blanc avec à ses pieds un mort dans son linceul blanc, chaussé de gros brodequins noirs vernis. Une Marianne Cérès semeuse, vintage IIe et IIIe République, féminine, douce, résolue, travailleuse. En ces temps de déboulonnage statuaire de la mémoire coloniale en France, cette petite statue semble bien fragile, la desceller de son socle étroit devrait être facile. A un kilomètre de là, avant de traverser le pont pour franchir la lagune vers le vieux quartier Français, trois fortes femmes en béton marchent, elles sont résolues, elles aussi, comme si elles avaient décidé d’aller déboulonner elle-même la frêle Marianne. Le monument commémore la marche des femmes du 24 décembre 1949, elles allaient vers la prison de Grand Bassam pour exiger la libération de militants du PDCI. Après le pont sur la droite une haute stèle en granite noir poli rappelle l’attentat terroriste du 13 mars 2016 qui fit 16 victimes civiles dont sept Ivoiriens et quatre Français. La moyenne d’âge des ivoiriens assassinés ce jour-là était de 23 ans, celle des Français de 68 ans. De l’autre côté du quartier, notre petite Marianne semble les regarder au loin et leur faire un geste pour retenir leur mémoire. Sur le socle de la statue, pas de références militaires, de médailles où de symboles guerriers. Aucun nom gravé. On décrypte quelques informations au dos : elle a été financée par une souscription publique organisée par le gouverneur Angoulevant en 1914. L’air marin du large a presque fait disparaitre le texte. Cette statue évoque l’épidémie de fièvre jaune de 1900 qui décima les habitants de Grand-Bassam. Elle est l’œuvre d’Alfred Lenoir, l’un des sculpteurs officiels de la IIIe République. On peut voir plusieurs de ses œuvres à Paris sur le pont Alexandre III ou sur la façade de l’hôtel de ville. Le gouverneur Angoulevant est arrivé en Côte d’Ivoire en 1905, Avec le général Gallieni, l’organisateur des taxis de la Marne, il fut le théoricien colonial de la manière forte pour soumettre les habitants du territoire qui furent astreints au travail forcé, emprisonnés et tués parce que Noirs.

Comme pour la COVID, en Côte d’Ivoire la fièvre mémorielle qui sévit en France sur l’histoire coloniale est beaucoup moins virulente. Elle a affaibli le gouverneur Latrille à Abidjan en 2002 dont la mémoire a été partiellement éclipsée par les victimes des évènements de 2000. Si la fièvre s’emparait de la lagune Ebrié avec la même virulence que dans l’ancienne métropole, alors l’obélisque de Treich-Laplène, tous les toponymes Angoulevant, Latrille, Binger, Gallieni mais aussi notre petite Marianne-Cérès du quartier français seraient des sujets à risque. 

Et si ce n’était pas Cérès qui était symbolisée, mais Mnémosyne la déesse grecque de la mémoire qui semble avoir pris ses quartiers à Grand-Bassam ? On la représente avec la main droite portée à l’oreille comme pour mieux entendre le bruit étouffé des évènement qui se sont déroulés dans la petite ville assoupie entre la lagune et l’océan. Et pourquoi pas Cybèle, la déesse romaine de la fécondité venue d’orient ? Chaque année elle s’invite aux fêtes traditionnelles Sider et Grelo des N’Zima de Grand Bassam quand les maîtres des cérémonies juchés sur un monument sous la statue d’un archange asexué aux ailes déployées, appellent la prospérité pour les habitants de la ville ? Pourquoi pas la Vierge Marie posée au milieu de la cour du vieux collège des sœurs missionnaires où même Isis l’égyptienne qui recolle les morceaux du cadavre d’Osiris son mari et lui redonne la vie ? Cheikh Anta Diop pourrait être l’avocat de la secrète Cérès du quartier français. Cette statue, la République, c’est une femme courageuse, revenue de tout, elle jette les pétales de la repentance sur le corps sans vie de l’entreprise coloniale. Elle s’apprête à rejoindre ses trois sœurs à l’entrée de la ville pour une nouvelle marche des libertés. Amis Ivoiriens, ne déboulonnez jamais cette femme, elle est si belle.  

Laissez un commentaire

Votre adresse électronique ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'un *.