Le sentiment anti français – LFCI N°50 – mars 2025

Le sentiment anti français – LFCI N°50 – mars 2025

En Afrique francophone un passé qui passe douloureusement En 1996, un livre intitulé « Vichy, un passé qui ne passe pas » 1 expliquait comment nos mémoires partagées n’avaient pas encore fait l’inventaire des responsabilités françaises pendant l’occupation et le régime de Vichy. Depuis la publication de cet essai, ce passé s’éloigne de nos mémoires

En Afrique francophone un passé qui passe douloureusement

En 1996, un livre intitulé « Vichy, un passé qui ne passe pas » 1 expliquait comment nos mémoires partagées n’avaient pas encore fait l’inventaire des responsabilités françaises pendant l’occupation et le régime de Vichy. Depuis la publication de cet essai, ce passé s’éloigne de nos mémoires vivantes et commence à passer mais pour ce qui concerne la colonisation, les indépendances africaines et la période post indépendance, il est toujours aussi difficile à passer en France. Or la réalité aujourd’hui auprès des nouvelles générations africaines sub sahariennes, c’est que ce passé colonial et post colonial, lui, est en train de passer : un droit d’inventaire est mené et le plus souvent la France est mise au débit du bilan mémoriel en cours. Ces générations maintenant aux affaires pour le meilleur et le pire ne nous attendent plus pour faire passer ce qui relève aussi, et largement, de leur histoire. Ce décalage entre des mémoires qui ne sont plus partagées aboutit à ce que nous vivons aujourd’hui dans nos relations avec les pays d’Afrique sub saharienne. En France, dans le meilleur des cas, c’est la nostalgie d’une Afrique révolue ou qui n’a jamais existée qui s’exprime. Le Tiers mondisme des années 60 et ensuite le militantisme anti Françafrique donnaient l’image d’une Afrique éternelle victime qu’il fallait aider. Aujourd’hui pour beaucoup c’est le dépit qui prévaut face à ce que les médias mainstream appellent le rejet de la France en Afrique et pour certains une xénophobie anti africaine prend le relai quand ce n’est pas le racisme vintage colonial qui reprend le dessus. De chaque côté les débats décolonialistes, les crispations identitaires, les nationalismes ombrageux et l’incompréhension réciproque, dominent. Ce que beaucoup de Français ne voient pas, notamment les pouvoirs publics, c’est que les Africains veulent simplement reprendre en main leur propre histoire et qu’ils n’ont pas besoin de la France pour l’écrire.

Mémoire officielle, vérité de l’histoire

Nous sommes tellement loin du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2008 quand il estimait que les Africains n’étaient pas entrés dans l’histoire ou celui d’Emmanuel Macron qui demandait aux étudiants de l’université de Ouagadougou en 2017 d’oublier le passé et de regarder vers l’avenir. Ce dernier avait été mieux inspiré à Kigali en 2021 en reconnaissant sans équivoque la responsabilité des autorités françaises dans le déclenchement du génocide de 1994. François Hollande en 2013 avec son discours de Tombouctou expliquant que la France payait sa dette de la libération de la France par les tirailleurs africains avait entrevu ce lien de partage avec les mémoires africaines. En 2014 au Sénégal il avait reconnu qu’une « répression sanglante » s’était déroulée à Thiaroye le 1 er décembre 1944 quand un grand nombre de tirailleurs africains de retour après les combats de la seconde guerre mondiale qui s’étaient mutinés pour réclamer leur solde avaient été massacrés à la mitrailleuse par les gendarmes français. Il avait admis que le nombre de morts était « probablement » de 70 au lieu des 35 « mutins tués » officiels. Mais, malgré ses promesses, l’accès aux archives militaires complètes de ce dramatique évènement est encore impossible aux historiens qui estiment le nombre de tués à 200 voire 300. En 2024 il parle de « massacre » et les autorités sénégalaises demandent toujours l’ouverture complète des archives de qui fut un crime de guerre coloniale, organisé, voire prémédité, camouflé par les autorités militaires françaises et couvert jusqu’à aujourd’hui par les autorités politiques.

De quoi le rejet de la France est-il le nom ?

Pour faire la part des choses entre les affects et les analyses sur le sentiment anti-français qui s’exprime de manière de plus en plus virulente en Afrique, en partenariat avec le Centre de Recherche  International de Sciences-Po (CERI), le mouvement international Tournons la Page qui regroupe plus de 250 organisations collectives africaines et européennes, a publié en novembre une étude intitulée « De quoi le rejet de la France est-il le nom ? » 2 . Le mouvement a enquêté du point de vue des Africains sur ce que signifie cette défiance envers la France. Une vaste enquête a été organisée dans six pays (Côte d’Ivoire, Bénin, Niger, Tchad, Cameroun et Gabon) où plus de 500 personnes ont été interrogées. Cette étude ne visait pas à donner une opinion africaine sur les relations entre l’Afrique et la France, mais elle a permis de donner la vision de militants associatifs qui luttent pour la démocratie, l’accès aux droits et à l’alternance du pouvoir. L’étude porte en sous-titre : « Sentiment anti-français, faire recherche ensemble sur un sujet qui divise 3  ». Depuis 2021, les relations entre la France et plusieurs pays d’Afrique sont rompues : Mali, Burkina et Niger. Ces dernières semaines le Sénégal a demandé le retrait des forces françaises et le Tchad a rompu ses accords de défense avec la France. D’une certaine manière, ce retour de bâton historique que la France vit au Sahel depuis quatre ans, est le résultat d’un passé qui passe en Afrique Subsaharienne.
Les pays africains sont happés par le contexte géo politique en pleine mutation au niveau mondial et sont en train d’écrire une nouvelle histoire qui prend des tournures dramatiques dans plusieurs situations, mais c’est la leur. La remise en question de l’hégémonie culturelle et politique occidentale bâtie au nom de l’universalisme parcourt les débats citoyens en Afrique. Ce qui divise les militants
pour la démocratie c’est la nature du « sentiment anti français » et la compréhension de ce que cet énoncé recouvre. La part est toujours faite entre la dénonciation des politiques françaises et les
proximités anciennes et vivaces avec les citoyens Français. L’étude montre que ces questions ont été difficiles à débattre au sein même du mouvement Tournons la Page qui lui aussi a failli se fracturer sur les sujets.

Sortir de la vocation africaine de la France

Lucidement les coordonnateurs de l’enquête reconnaissent qu’ils ont également reproduit dans leur manière de travailler ces relations Nord/Sud qui prévalent encore dans l’aide au développement :
coordination au Nord, exécution au Sud, ce qui a fait l’objet de rudes débats entre les personnes interrogées dans des « focus group ». Néanmoins, cette étude montre un décalage entre les discours dominants des médias en France et les analyses des militants africains : « On estime juste que la
France en fait un peu trop dans nos politiques, dans nos vies. Donc on a le droit de crier notre ras-le-bol. C’est tout ». Plusieurs thématiques sont travaillées dans le rapport : l’armée française, la domination économique de la France, la démocratie et les droits humains, les valeurs « importées », et la souveraineté. En contextualisant son travail et citant des participants, le rapport explicite les débats, soulève quelques contradictions, mais surtout propose des analyses qui appellent quelques recommandations formulées en conclusion. La posture politique d’une France ayant une vocation africaine doit être abandonnée, les injonctions et postures doivent laisser la place à une politique respectant la souveraineté des peuples. C’est à la réalité des trois millions de Françaises et de Français de l’étranger dont la une majorité vit en Afrique sub saharienne et sont bi nationaux, d’écrire aussi les mémoires partagées. La diplomatie doit être menée dans un cadre multilatéral autour des questions sécuritaires et de justice sociale et climatique. Le respect des droits humains doit toujours être une boussole malgré les chemins difficiles pour y arriver. Dans cette vision, la solidarité internationale est nécessaire pour construire le « vivre ensemble » des sociétés civiles ici et là-bas, seule manière de partager l’histoire en train de se faire et donc nos mémoires à venir.

Christophe Courtin, ancien secrétaire de Fdm-ADFE CI.

1 Henri Rousso, Henri Conan. Vichy, un passé qui ne passe pas. Gallimard. 1996

2 https://tournonslapage.org/fr/outils-et-ressources/BD%20-
%20De%20quoi%20le%20rejet%20de%20la%20France%20en%20Afrique%20est-il%20le%20nom%20%20.pdf

3 Pour une compréhension plus complète du rapport, lire l’analyse publiée dans Afrique XXI
https://afriquexxi.info/Au-dela-du-sentiment-les-raisons-du-rejet-de-la-France-en-Afrique

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